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Qu'il faisait chaud ce matin-là! La couette légère et moelleuse sous laquelle j'aimais tant me glisser le soir venu m'était soudain devenue insupportable. Encore une malice de ces satanées hormones sans doute...

Je jetais un œil au radio-réveil. Il se déclencherait bientôt, déversant un flot de paroles sur les catastrophes survenues dans le monde pendant que je dormais paisiblement. Je m'étirai, fus prise de l'irrésistible envie de me lécher la main droite, puis l'autre, de la passer derrière mon oreille, puis l'autre. Je constatais que j'avais retrouvé toute ma souplesse en me libérant d'un mouvement de la couette qui m'étouffait. J'étais bien et ne pus réprimer un grondement sourd au fond de ma gorge, une sensation jamais éprouvée auparavant. J'ouvris un œil, puis l'autre. Patrick, encore profondément endormi, me tournait le dos. Je m'approchais de lui pour poser ma main sur son épaule. C'est alors que je compris la raison de ces sensations nouvelles: ce n'est pas un bras que je vis sur son flanc mais une patte. Une longue patte recouverte d'une épaisse fourrure blanche comme neige. Je tendis alors les doigts et vis apparaître cinq longues griffes émergeant des petits coussinets dans lesquelles elles étaient enfouies. J'observais alors le reste de mon corps: le ventre recouvert de poils soyeux, les pattes arrière légèrement pliées sur le satin du drap rouge brique. Il fallait que je teste ce nouveau corps que j'en goûte les nouvelles sensations. Je me levai, sur quatre pattes et m'étirai à nouveau: bras tendu devant moi, arrière-train exerçant sa traction à l'opposé. Puis, je me détendis à nouveau pour ronronner encore. Mes moustaches effleurèrent l'oreiller, transmettant à mon cerveau une légère décharge électrique. Pas douloureuse non, juste un signal.

Comment descendre du lit? Un instinct, venu je ne sais d'où, me commanda alors. D'un bond, mes pattes avant s'élancèrent entraînant la tête et le reste du corps. Surprenant de se sentir ainsi plonger tête la première vers le parquet. Les pattes arrières amortirent le tout au sol. Par bonheur, la porte de la chambre était restée entrouverte. Je glissai hors de la chambre et me dirigeai vers l'escalier. Cette expérience fût étonnante. Descendre la tête la première me rappela la chute que j'avais faite, bébé, dans l'escalier de la cave de la maison familiale lorsque ma sœur, avec la maladresse de ses sept ans, butant contre un carreau décollé, m'y avait laissée choir. Il m'en restait une minuscule cicatrice sur l'arcade sourcilière. La trouverait-on encore sous le pelage blanc?

J'entrepris alors de visiter le rez-de-chaussée. Je bondis sur une chaise de cuisine et, de là, sur le plan de travail que j'arpentai sur toute sa longueur, léchai le fond d'une casserole traînant dans l'évier. Vraiment délicieux ce bourguignon. J'avais bien fait de ne pas débarrasser la cuisine hier soir. J'entendis des bruits au premier étage. Une radio jouant Skyrock à fond dans une chambre du haut tentait sans doute de sortir Franck de son sommeil. J'entendis ensuite la douche, le brossage de dents, les portes s'ouvrant puis se refermant, la manœuvre de la fermeture du sac à dos. En trois longues enjambées, il fût au bas de l'escalier et, criant son sempiternel « Bon, j'y vais, à ce soir!... », il fût dehors. Et moi aussi! Il ne m'avait pas vue me glisser entre ses jambes. Ce fût alors la grande liberté. Un petit saut sur le rebord de la fenêtre des voisins pour comprendre enfin la raison des cris stridents entendus chaque matin depuis que les petites savaient parler. De là, j'escaladai la gouttière pour arriver sur le toit et voir mon quartier d'en haut. Je redescendis, sautai après un oiseau. Pas pour le tuer, non. Juste pour voir comment j'aurais fait. Je me lovai alors sous le cornouiller du jardin et m'y assoupis.

Lorsque je m'éveillai, ma main se tendit vers Patrick, un peu douloureuse mais humaine. J'avais perdu ma belle souplesse. Franck s'agitait déjà dans la salle de bain. « Cette nuit, un attentat un Gaza, de nouvelles émeutes au quartier latin, la réunion du G20 a commencé sous les meilleures auspices, ... ». C'était l'heure. Je me tournai sur le côté droit, basculai pour poser les pieds au sol et me levai lourdement pour me diriger vers la bienfaisante chaleur de la douche.

 

Tcitro

10 mai 2009

 

 

Tag(s) : #Plaisir d'écrire